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samedi 1 septembre 2018

Les jeunes en échec scolaire - Qui sont-ils ? (2/3)

Comment procède-t-on pour que les jeunes en échec scolaire entrent dans les apprentissages ?

Dans un précédent article, (ici) nous avions commencé à répondre à cette question  en les observant au niveau personnel. Aujourd'hui, nous allons évoquer la partie sociale.

Extrait du livre : 







L’appauvrissement du langage argumenté


Le langage argumenté n’est pas une chose aisée pour les jeunes qui sont dans des dispositifs d’insertion. Plus largement, on constate que les jeunes qui décrochent du système scolaire éprouvent de grandes difficultés dans l’argumentation. La plupart d’entre eux se contente régulièrement d’interjections (« Eh toi là! »). Boimare (2008, p.16) nous dit pour « ces enfants empêchés de penser » qu’ils sont «  incapables de raconter, d’expliquer, et surtout d’argumenter, ils ne communiquent que dans la connivence et la proximité ». Le déficit du langage argumenté a une importance dans la socialisation. Si vous n’arrivez pas à exprimer votre pensée, vos idées, défendre votre point de vue devient impossible. Cette difficulté d’expression va avoir des incidences sur leurs comportements, leurs attitudes. Le mode de communication privilégié sera lié au corps (épaules tombantes, torse bombé...) et au regard (fuyant, de défi…). Cette communication pauvre en mots, ce style lapidaire, ne seront compris que par les proches. Le cercle social sera donc, dans la majorité des cas, réduit voire inexistant.


« Mais jamais comme ce jour-là je n’ai ressenti un tel sentiment d’impuissance, jamais ne m’est apparu avec autant d’évidence l’enchainement fatal entre insécurité linguistique et passage à l’acte violent. Ce jeune tentait désespérément de donner une explication – vraisemblablement mensongère, d’ailleurs – selon laquelle il n’avait pas volé les CD ; il venait, prétendait-il, les échanger parce qu’il les avait déjà. Mais lui manquaient les mots pour se faire comprendre, mais lui faisaient défaut les structures pour convaincre. » (Bentolila, 2008, p.126)


L’acceptation et la compréhension du point de vue de l’autre



La vie sociale de ces jeunes est souvent réduite à leur cercle proche d’amis ou de famille. Ce cercle est souvent en accord avec leurs opinions, leurs valeurs. Lors de débats avec un cercle de personnes élargi, nous nous apercevons qu’ils ont du mal à accepter un point de vue différent du leur. La compréhension sans dénégation est encore moins présente. Sans règle de parole, les échanges deviennent vite houleux ! Lors de séances de débats, d’échanges, nous avons dû instaurer des règles pour qu’ils puissent s’écouter et notamment attendre leur tour avant de parler, le président de la séance étant celui qui donne le droit de parole. Lorsque ces règles étaient enfreintes, ils devaient sortir de la pièce pendant cinq minutes. Pour certains, il a fallu quelques séances avant qu’ils ne passent plus de temps dans la salle qu’à l’extérieur.


La prise de conscience et la reconnaissance des émotions de l’autre


De même qu’ils éprouvent des difficultés dans la compréhension des idées de leurs pairs, il leur est malaisé de prendre conscience et de reconnaitre leurs ressentis émotionnels, d’autant plus qu’ils ont déjà du mal à identifier leurs propres émotions. Ces constats sont en lien avec l’empathie. Nous savons que l’empathie se construit et se renforce au quotidien. Cette composante du développement de la personne a-t-elle été suffisamment sollicitée durant l’enfance ?


Une difficulté à se décentrer



La difficulté à exprimer ses pensées et ses émotions, ainsi qu’à prendre en compte ou comprendre les idées et émotions de l’autre, va favoriser un langage interne. J’entends par là qu’une préoccupation de soi va prendre le pas sur toutes les actions de liens sociaux. Cette centration sur soi a une incidence sur le développement de la personne par une grande propension à la rumination. J’ai régulièrement entendu de la part des jeunes dans des ateliers de remédiation : « Souvent, j’ai des petites choses qui reviennent régulièrement dans ma tête. J’ai beau me dire qu’il faut que je me concentre, elles reviennent tout le temps » (verbatim d’une jeune accompagnée). De plus, comme le souligne Chevallier-Gaté (2014, p 8), « l’apprentissage suppose également la rencontre avec le monde de l’autre, à la fois l’enseignant, mais aussi le groupe de pairs, les mots d’un autre qu’on découvre dans les livres, le point de vue de l’autre. Cela demande à l’apprenant à la fois de se décentrer de son point de vue pour pouvoir entendre celui de l’autre, sans pour autant oublier son propre point de vue […] ».


En résumé, sur le plan social, nous faisons les constats suivants :

  • une pauvreté du langage,
  • un manque de reconnaissance et de compréhension de l’autre,
  • un centrage excessif sur soi.

Le prochain article sera consacré aux constats sur le plan cognitif des jeunes en échec scolaire

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Cédric MATTESCO

Psychopédagogue, je me suis spécialisé au cours de ma carrière dans l’accompagnement des publics en difficulté d’apprentissages et en échec scolaire. Un parcours atypique : Bac + 5 en sciences (Géologie - Environnement), j'ai débuté dans le monde de l'éducation par un poste d'assistant d'éducation. Je dirige, 15 ans après, un Centre Médico-Psycho-Pédagogique et un Service d’Accompagnement à l’Insertion. 

Depuis mon enfance, je me suis toujours posé certaines questions  : pourquoi certains apprennent, pourquoi d'autres pas ? J'ai encore des souvenirs très précis de situations, comme par exemple en 3e lors, d'une épreuve de brevet blanc, pourquoi ne sommes-nous que deux à avoir eu la moyenne? Pourquoi les copains ont-ils autant de mal à faire leurs devoirs ? Et depuis, ces questions me taraudent toujours...

C'est en 2014, que je commence à partager ma passion pour la pédagogie grâce au blog des remédiations.
 
J'ai également développé un jeu d'apprentissage et de mémorisation de la signalisation routière, Qui roule qui ? : un jeu pour les familles, les écoles et les établissements spécialisés.