Dans un précédent article, (ici) nous avions commencé à répondre à cette question en les observant au niveau personnel. Aujourd'hui, nous allons évoquer la partie sociale.
Extrait du livre :
L’appauvrissement du langage
argumenté
Le langage
argumenté n’est pas une chose aisée pour les jeunes qui sont dans des
dispositifs d’insertion. Plus largement, on constate que les jeunes qui
décrochent du système scolaire éprouvent de grandes difficultés dans
l’argumentation. La plupart d’entre eux se contente régulièrement
d’interjections (« Eh toi là! »). Boimare (2008, p.16) nous dit pour
« ces enfants empêchés de penser » qu’ils sont « incapables de raconter, d’expliquer, et
surtout d’argumenter, ils ne communiquent que dans la connivence et la
proximité ». Le déficit du langage argumenté a une importance dans la
socialisation. Si vous n’arrivez pas à exprimer votre pensée, vos idées,
défendre votre point de vue devient impossible. Cette difficulté d’expression
va avoir des incidences sur leurs comportements, leurs attitudes. Le mode de
communication privilégié sera lié au corps (épaules tombantes, torse bombé...)
et au regard (fuyant, de défi…). Cette communication pauvre en mots, ce style
lapidaire, ne seront compris que par les proches. Le cercle social sera donc,
dans la majorité des cas, réduit voire inexistant.
« Mais jamais comme ce jour-là je n’ai
ressenti un tel sentiment d’impuissance, jamais ne m’est apparu avec autant
d’évidence l’enchainement fatal entre insécurité linguistique et passage à
l’acte violent. Ce jeune tentait désespérément de donner une explication –
vraisemblablement mensongère, d’ailleurs – selon laquelle il n’avait pas volé
les CD ; il venait, prétendait-il, les échanger parce qu’il les avait
déjà. Mais lui manquaient les mots pour se faire comprendre, mais lui faisaient
défaut les structures pour convaincre. » (Bentolila, 2008, p.126)
L’acceptation et la compréhension du
point de vue de l’autre
La
vie sociale de ces jeunes est souvent réduite à leur cercle proche d’amis ou de
famille. Ce cercle est souvent en accord avec leurs opinions, leurs valeurs.
Lors de débats avec un cercle de personnes élargi, nous nous apercevons qu’ils
ont du mal à accepter un point de vue différent du leur. La compréhension sans
dénégation est encore moins présente. Sans règle de parole, les échanges deviennent
vite houleux ! Lors de séances de débats, d’échanges, nous avons dû instaurer
des règles pour qu’ils puissent s’écouter et notamment attendre leur tour avant
de parler, le président de la séance étant celui qui donne le droit de parole.
Lorsque ces règles étaient enfreintes, ils devaient sortir de la pièce pendant
cinq minutes. Pour certains, il a fallu quelques séances avant qu’ils ne
passent plus de temps dans la salle qu’à l’extérieur.
La prise de conscience et la
reconnaissance des émotions de l’autre
De même
qu’ils éprouvent des difficultés dans la compréhension des idées de leurs
pairs, il leur est malaisé de prendre conscience et de reconnaitre leurs
ressentis émotionnels, d’autant plus qu’ils ont déjà du mal à identifier leurs
propres émotions. Ces constats sont en lien avec l’empathie. Nous savons que
l’empathie se construit et se renforce au quotidien. Cette composante du
développement de la personne a-t-elle été suffisamment sollicitée durant
l’enfance ?
Une difficulté à se décentrer
La
difficulté à exprimer ses pensées et ses émotions, ainsi qu’à prendre en compte
ou comprendre les idées et émotions de l’autre, va favoriser un langage
interne. J’entends par là qu’une préoccupation de soi va prendre le pas sur
toutes les actions de liens sociaux. Cette centration sur soi a une incidence
sur le développement de la personne par une grande propension à la rumination.
J’ai régulièrement entendu de la part des jeunes dans des ateliers de
remédiation : « Souvent, j’ai des petites choses qui reviennent
régulièrement dans ma tête. J’ai beau me dire qu’il faut que je me concentre,
elles reviennent tout le temps » (verbatim d’une jeune accompagnée).
De plus, comme le souligne Chevallier-Gaté (2014, p 8), « l’apprentissage suppose également la rencontre avec le monde de
l’autre, à la fois l’enseignant, mais aussi le groupe de pairs, les mots d’un
autre qu’on découvre dans les livres, le point de vue de l’autre. Cela demande
à l’apprenant à la fois de se décentrer de son point de vue pour pouvoir
entendre celui de l’autre, sans pour autant oublier son propre point de vue […] ».
En
résumé, sur le plan social, nous faisons les constats suivants :
- une pauvreté du langage,
- un manque de reconnaissance et de compréhension de l’autre,
- un centrage excessif sur soi.
Le prochain article sera consacré aux constats sur le plan cognitif des jeunes en échec scolaire
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Cédric MATTESCO
Psychopédagogue, je me suis spécialisé au cours de ma carrière
dans l’accompagnement des publics en difficulté d’apprentissages et en
échec scolaire. Un parcours atypique : Bac + 5 en sciences (Géologie - Environnement), j'ai débuté dans le monde de l'éducation par un poste d'assistant d'éducation. Je dirige, 15 ans après, un Centre
Médico-Psycho-Pédagogique et un Service d’Accompagnement à l’Insertion.
Depuis
mon
enfance, je me suis toujours posé certaines questions : pourquoi
certains apprennent, pourquoi d'autres pas ? J'ai encore des souvenirs
très
précis de situations, comme par exemple en 3e lors, d'une
épreuve de brevet blanc, pourquoi ne sommes-nous que deux à avoir eu la
moyenne? Pourquoi les copains ont-ils autant de mal à faire leurs
devoirs ? Et depuis, ces questions me taraudent toujours...
C'est en 2014, que je commence à partager ma passion pour la pédagogie grâce au blog des remédiations.
J'ai également développé un jeu d'apprentissage et de mémorisation de la signalisation routière, Qui roule qui ? : un jeu pour les familles, les écoles et les établissements spécialisés.
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